1. Entreprises sous juridiction provinciale ou fédérale – interprétation des textes de loi.
2. Projet de loi C-65/Amendements au Code canadien du travail (CCT).
3. En attente des amendements au CCT.
1. La notion de harcèlement-violence pour les entreprises sous règlementation provinciale ou fédérale, comment s’y retrouver? Comment l’interprétation des textes de lois qui s’appliquent aux entreprises de juridiction provinciale ou fédérale a-t-elle évoluée?
2. Les amendements au Code canadien du travail par l’adoption éventuelle du Projet de loi C-65 ajouteront-ils aux obligations des employeurs sous juridiction fédérale.
3. Recommandations aux entreprises de juridiction fédérale en attente de l’adoption du Projet de loi C-65, visant à modifier le texte du Code canadien du travail (CCT) et du Règlement canadien sur la santé et la sécurité du travail. (RCSST).
1. La notion de harcèlement-violence pour les entreprises sous règlementation provinciale ou fédérale, comment s’y retrouver? Comment l’interprétation des textes de lois qui s’appliquent aux entreprises de juridiction provinciale ou fédérale a-t-elle évoluée?
En juin 2004, le législateur québécois a amendé la Loi sur les normes du travail pour y ajouter des dispositions sur le harcèlement psychologique ou sexuel au travail afin de protéger les personnes salariées québécoises. Ces dispositions imposent aux employeurs des entreprises sous règlementation provinciale, l’obligation de prévenir et faire cesser le harcèlement. Ces amendements viennent également préciser la définition de la notion de harcèlement avec des critères précis qui doivent être rencontrés pour déterminer si nous sommes en présence ou non de harcèlement. En vertu des règles énoncées dans cette loi, l’employé qui invoque du harcèlement au travail a le fardeau de démontrer que les propos, gestes ou comportements allégués se qualifient sous ces critères. En somme, pour constituer du harcèlement nous devons être en présence de conduites vexatoires, à caractère répétitif, des paroles, gestes ou comportements hostiles ou non désirés et qui portent atteinte à l’intégrité ou la dignité de l’employé et font en sorte que son milieu de travail est rendu néfaste.
Pour conclure à la présence de harcèlement au sein d’entreprises à juridiction provinciale, le plaignant doit démontrer la présence de tous les éléments de la définition. Ces dispositions ont été interprétées à mainte reprises par les tribunaux québécois, si bien qu’il est facile de pouvoir s’y situer aujourd’hui lorsqu’il s’agit de qualifier si nous sommes en présence de harcèlement ou non.
Pour les entreprises sous juridiction fédérale maintenant, le tableau n’est pas aussi simple. La Loi sur les normes du travail ne s’applique pas à ces entreprises qui doivent en fait se référer au CCT et RCSST.
Les dispositions du CCT et du RCSST ont été rédigées pour répondre aux enjeux liés aux dangers physiques et aux maladies. Ces dispositions ne sont pas adaptées aux dangers qui ne sont pas physiques comme le harcèlement à moins que ceux-ci ne causent une blessure physique ou ne rendent l’employé malade. Le CCT et le RCSST ne traitent pas directement de la notion de « harcèlement » ainsi était souvent imposé aux plaignants le fardeau de démontrer que le harcèlement vécu constituait de la violence au sens du CCT et du RCSST.
Cela dit, ces textes de lois (provinciaux ou fédéraux) ont évolué en parallèle et ce, bien qu’ils soient distincts et n’aient pas nécessairement le même objectif initial. Les tribunaux ont cherché à donner une interprétation beaucoup plus large au CCT et au RCSST qui régissent les entreprises de juridiction fédérale. L’évolution de cette jurisprudence nous permet de conclure aujourd’hui, que la couverture offerte en lien avec la définition de « harcèlement » au fédéral et au provincial est sensiblement la même.
Bien que la notion de « harcèlement » ne fait pas parti du libellé des textes de lois qui régissent les entreprises de juridiction fédérale, les tribunaux, juges et arbitres, ont été audacieux et ont marqué le pas en matière fédérale en élargissant la portée des textes.
Dans l’affaire : Alliance de la Fonction publique du Canada, la Cour Fédérale d’Appel en 2013 (Saskatchewan) devait se prononcer dans une affaire ou l’employé de l’Agence d’inspection des aliments se plaignait d’être la cible de moqueries et de commentaires désobligeants répétés. Le Cour fédérale d’appel a soutenu la position du juge Michael Manson, lequel affirmait dans sa décision que l’intimidation psychologique peut avec le temps, être l’une des pires formes de préjudice qu’on puisse infliger à une personne, ce qui allait à l’encontre de la position du gouvernement qui soutenait que la violence au travail se limite à l’usage de la force physique.
A cette décision en matière de droit fédéral s’ensuit plusieurs décisions arbitrales qui vont dans le même sens et qui confirment un courant jurisprudentiel. En fait, certains arbitres et juges en révision judiciaire, au Québec, qui ont dû se prononcer en lien avec les entreprises de juridiction fédérale s’entendent pour s’inspirer, dans une certaine mesure, des dispositions de la Loi sur les Normes du Travail applicable aux entreprises de juridiction provinciale.
L’arbitre Suzanne Moro du Tribunal du travail (Syndicat Québécois des employés de Telus, section locale 5044, 2013 CanlII 26490) supporte les arbitres avant elle, qui se sont inspirés du droit provincial pour traiter une plainte dans une entreprise fédérale. Elle se prononce comme suit :
« Les dispositions relatives au harcèlement psychologique contenues à la Loi sur les normes du travail (L.R.Q. c N-1.1) ne s’appliquent pas aux entreprises sous compétence fédérale, ce qui est ici le cas de l’employeur. Comme le souligne l’arbitre Denis Provençal dans l’affaire Teamsters Québec, local 69 (FTQ) et Transport TFI 5, S.E.C. (Division Transport Kingsway), 14 juin 2006, AZ-50379938
« (…) il n’existe pas, à l’heure actuelle, de dispositions législatives fédérales en matière de harcèlement psychologique comparables à celles introduites au Québec le 1er juin 2004 à la Loi sur les normes du travail. Cela ne signifie pas pour autant qu’un employé d’une entreprise fédérale est démuni dans le cas où il s’estime victime de harcèlement psychologique dans son milieu de travail. Dans l’affaire Société canadienne des postes c. Syndicat des travailleuses et travailleurs des postes 2, Me Daniel Lavery situait ainsi l’environnement juridique du harcèlement psychologique dans un milieu de travail de juridiction fédérale :
« Définition de « harcèlement »
Il faut noter, dès le départ, que les dispositions de la Loi sur les normes du travail du Québec sur le harcèlement psychologique ne s’appliquent pas à la Société canadienne des postes, de juridiction fédérale (voir, entre autres, Reference as to the Validity of the Industrial Relations and Disputes Investigation Act, 1955 CanLII 1 (SCC), [1955] R.C.S. 529 et Union des facteurs du Canada c. Syndicat des postiers du Canada, 1973 CanLII 183 (CSC), [1975] 1 R.C.S. 178). D’autre part, ni la Partie II du Code canadien du travail à laquelle l’article 24 de la convention collective renvoie, ni la Partie III de ce code ne contiennent de dispositions traitant du harcèlement psychologique au travail. Il n’y a donc pas, dans la législation fédérale, d’assises législatives à une prohibition de harcèlement psychologique. Ce qui ne veut pas dire que, dans une entreprise de juridiction fédérale comme la Société canadienne des postes, qu’il soit impossible à un employé de formuler un grief alléguant harcèlement psychologique. Il faut plutôt alors s’en remettre à la jurisprudence arbitrale et à la définition que celle-ci a donnée du harcèlement psychologique. Il faut noter, à cet égard, que la définition du harcèlement psychologique adoptée par le législateur québécois dans la Loi sur les normes du travail est plus large dans les éléments de conduite répréhensible qu’elle retient que ce que l’on trouve actuellement dans les décisions arbitrales. Ceci n’interdit pas, cependant, aux arbitres appelés à trancher un grief de harcèlement dans une entreprise de juridiction fédérale de s’inspirer de la définition de la L.N.T. Cette définition est énoncée à l’article 81.18 de cette loi et elle se lit comme suit :
« … Une conduite vexatoire se manifestant soit par des comportements, des paroles, des actes ou des gestes répétés, qui sont hostiles ou non désirés, laquelle porte atteinte à la dignité ou à l’intégrité psychologique ou physique du salarié et qui entraînent, pour celui-ci, un milieu de travail néfaste. Une seule conduite grave peut aussi constituer du harcèlement psychologique si elle porte une telle atteinte et produit un effet nocif continu pour le salarié.
Une seule conduite grave peut aussi constituer du harcèlement psychologique si elle porte une telle atteinte et produit un effet nocif continu pour le salarié. ».
Cette même ligne de pensée a été suivie par le juge Godbout dans l’affaire (Teamsters du Québec, section local 1999 c. LaForge, 2013 QCCS 7004) »
En somme si on suit ce courant bien tracé par la jurisprudence, qu’on doive se prononcer pour une entreprise de juridiction fédérale ou provinciale, nous pouvons affirmer que la violence peut provenir de comportements, paroles, actes ou gestes sans que l’on passe nécessairement à l’acte d’agression pour devoir intervenir et condamner le geste. De toute évidence, pour constituer de la violence ces paroles, actes ou gestes doivent être hostiles ou non désirés et constituer une conduite vexatoire aux yeux d’une personne raisonnable et auraient pour effet de porter atteinte à la dignité et l’intégrité. Nous pouvons conclure également que la violence peut se manifester dans des gestes répétés ou une seule conduite grave peut aussi constituer de la violence si elle porte une telle atteinte et produit un effet nocif continu pour cette personne. Enfin, les paroles, actes et gestes doivent causer un préjudice important au Plaignant, au-delà de la tristesse et de la frustration, qui pourrait aller jusqu’à le rendre dysfonctionnel.
2. Les amendements au Code canadien du travail par l’adoption éventuelle du Projet de loi C-65 ajouteront-ils aux obligations des employeurs sous juridiction fédérale.
A ce tableau dessiné par la jurisprudence en matière fédérale s’ajoute maintenant le Projet de loi C-65, sanctionné le 25 octobre 2018, mais non encore en vigueur. Ce projet de loi vise, entre autres, à modifier le Code canadien du travail (CCT) et à accroître les obligations des employeurs de juridiction fédérale, plus particulièrement en ce qui a trait au harcèlement et à la violence au travail. Le gouvernement du Canada indique avoir l’intention de mettre en œuvre la loi dans les deux ans suivant la sanction royale (25 octobre 2018). Lorsqu’elle entrera en vigueur, la loi aura les effets suivants :
• L’élargissement de l’objectif de la partie II du Code Canadien sur la Santé et sécurité au travail, de traiter uniquement de la prévention des accidents et des blessures à celui d’inclure la prévention du harcèlement et de la violence, ainsi que les traumatismes et les maladies psychologiques ;
• L’ajout d’une définition du harcèlement et de la violence, à savoir « [t]out acte, comportement ou propos, notamment de nature sexuelle, qui pourrait vraisemblablement offenser ou humilier un employé ou lui causer toute autre blessure ou maladie, physique ou psychologique, y compris tout acte, comportement ou propos réglementaire »
Ces modifications au CCT et les modifications annoncées pour le Règlement canadien sur la santé et la sécurité du travail (RCSST) semblent avoir pour objectif de changer la culture en matière de harcèlement au fédéral afin que le respect et la civilité deviennent la norme. On y reconnait également le continuum des comportements inappropriés soient, toutes les formes de harcèlement et de violence, des taquineries aux avances non désirées jusqu’aux voies de fait. La prévention y est prônée, la formation imposée et le traitement des plaintes mieux encadré. En somme, un projet de loi qui vise à prévenir le harcèlement et assurer un meilleur encadrement.
3. Recommandations aux entreprises de juridiction fédérale en attente de l’adoption du Projet de loi C-65, visant à modifier le texte du Code canadien du travail (CCT) et du Règlement canadien sur la santé et la sécurité du travail. (RCSST).
Tel que susdit, le Projet de loi C-65, visant les entreprises à juridiction fédérale, n’ajoute pas tant en lien avec la protection accordée par l’ancien texte de loi du CCT suite à l’évolution et l’interprétation large de la jurisprudence. Cela dit, bon nombre d’entreprises de juridiction fédérale ont trouvé solution à ce débat juridique compliqué en adoptant une politique interne qui confirme l’interprétation plus large donnée par la jurisprudence en la matière et assurant ainsi une meilleure protection pour leurs employés. Ces entreprises ont marqué le pas et reconnaissent sensiblement la même protection que celle accordée au provincial. Ce faisant, il éliminent le débat judiciaire à savoir si effectivement les propos, comportements ou gestes allégués sont couvert sous la notion de violence. Ils ont définit la violence en y incluant la notion de harcèlement sans attendre que le projet de loi C-65 soit adopté. Nul besoin maintenant de chercher à interpréter la loi fédérale, les personnes mandatées pour faire enquête au sein de ces entreprises s’en tiennent à la définition donnée dans la politique, qui en fait se veut la confirmation de la jurisprudence qui a élargi la portée de la loi actuelle pour les entreprises sous règlementation fédérale.
En fait, cette façon de procéder règle bien des problèmes. Bon nombre d’entreprises attendent que le projet de loi C-65 soit adopté avant de travailler à modifier la politique et ce, sous prétexte que le texte de loi peut changer.
Je suis d’avis qu’il vaut mieux prendre de l’avance et commencer à mettre en place des mécanismes de prévention qui en fait seront imposés, de toute façon, par les nouveaux textes de loi. On s’entend, très peu de modifications risquent d’être apportées aux textes sanctionnés jusqu’ici. Dans le même ordre d’idée, les éléments retenus en matière de prévention, imposés par les amendements suggérés, ont tout intérêt à être implantés le plus rapidement possible. On sait tous que la formation est l’un des moyens de prévention en matière de harcèlement. Les employeurs n’ont donc pas intérêt à attendre que les textes de loi soient adoptés pour agir. Toute démarche en matière de prévention se veut un investissement. Les coûts associés à un conflit qui dégénère sont exponentiels.
Conclusion
L’état du droit en matière de harcèlement pour les entreprises de juridiction provinciale ou fédérale est sensiblement le même aujourd’hui en lien avec la protection accordée aux employés et ce, malgré des textes de lois différents. En somme, les tribunaux ont élargi la portée des textes de loi s’appliquant aux entreprises fédérales si bien qu’aujourd’hui la couverture offerte par un ou l’autre des textes de loi est presque la même. Le projet de loi C-65 viendra légitimer ce courant jurisprudentiel de façon à assurer une plus grande protection aux employés œuvrant au sein des entreprises fédérales. Ce projet de loi et les modifications apportées au RCSST mettront l’emphase sur la prévention et encadreront le processus de traitement des plaintes.
Ce débat juridique pour les entreprises sous règlementation fédérale en a épuisé plus qu’un. Bon nombre d’entreprises de juridiction fédérale ont simplifié la situation en établissant leur propre politique afin de préciser la définition de harcèlement retenue de façon à assurer une meilleure protection à leurs employés. Ces entreprises ont tout simplement énoncé dans leur politique qu’ils adoptent la définition plus large retenue par certains tribunaux. Dans la même veine, ces entreprises ont compris que la formation est le meilleur moyen de prévention en matière de harcèlement, ils ont donc mis de l’avant des programmes de prévention. Nul besoin d’attendre l’entrée en vigueur des nouvelles dispositions pour agir.