L’employeur a-t-il intérêt à faire sa propre enquête ou devrait-il attendre le résultat de l’enquête menée par les Normes de travail (CNESST)?
Un employé quitte le travail, invoque une maladie professionnelle en raison d’un soi-disant harcèlement psychologique subit au travail. Ce faisant, il fait une réclamation à la CSST pour maladie professionnelle et dépose une plainte de harcèlement psychologique auprès de la CNESST. [i] Quel est le processus qui s’ensuit pour l’employeur et celui-ci a-t-il intérêt à faire sa propre enquête interne pour déterminer la présence ou non de harcèlement?
Une plainte de harcèlement est déposée à la CNESST – Le processus qui s’ensuit pour les employeurs :
Habituellement l’employeur est avisé qu’une plainte de harcèlement psychologique ou sexuel est déposée auprès des Normes du travail (CNT-CNESST) alors que l’employé concerné a déjà quitté le travail en absence maladie (CSST). La personne responsable du dossier au bureau de santé sera la première informée de ce fait. De là, les employeurs se questionnent sur le processus qui s’ensuit et l’intérêt de faire leur propre enquête interne en matière de harcèlement dans la mesure ou la CNESST donne mandat à un agent (enquêteur) pour faire enquête en lien avec la plainte de harcèlement.
Pour répondre à cette question, il est important de comprendre chacune des étapes suite à la plainte de harcèlement déposée auprès de la CNESST. Une fois la plainte de harcèlement déposée auprès de la CNESST, un processus d’enquête est enclenché et un enquêteur est mandaté par la CNESST pour faire enquête et déterminer s’il est justifié que ce dossier soit acheminé au Tribunal administratif du travail (TAT). Cet enquêteur mandaté par la CNESST entrera en contact avec l’employé concerné (Plaignant) afin d’obtenir sa version des faits, clarifier ses allégations et identifier les personnes qu’il serait important de rencontrer pour se prononcer en lien avec sa plainte. Par la suite l’enquêteur communiquera avec les représentants de l’employeur afin de prévoir des rencontres avec les personnes impliquées, qu’il juge pertinent de rencontrer.
Une fois ces rencontres complétées, l’enquêteur mandaté devra décider s’il est justifié de faire parvenir ce dossier au Tribunal du travail (TAT). Cet enquêteur n’a pas le pouvoir pour se prononcer en lien avec l’existence de harcèlement ou non. Cet enquêteur ne peut décider que les comportements allégués constituent du harcèlement. L’enquêteur peut seulement déterminer s’il est justifié que le dossier de plainte soit acheminé au TAT pour être entendu et afin qu’il puisse être déterminé (seul le TAT a ce pouvoir) si la plainte de harcèlement est fondée ou non. En somme, cette étape préliminaire (enquête de la CNESST) se veut un processus similaire à ce que ferait un employeur à l’étape de la recevabilité d’une plainte. Au même titre que l’étude de recevabilité cette étape préliminaire effectuée par l’enquêteur de la CNESST vise à évaluer si la plainte est sérieuse, par opposition à une plainte frivole ou dénuée de toute chance de réussite. On considérera que la plainte est sérieuse si, à première vue, les faits allégués présentent une apparence suffisante de fondement pour qu’il soit justifié d’en saisir le TAT. À ce titre, les enquêteurs n’ont pas besoin d’être certain hors de tout doute que la plainte de harcèlement serait éventuellement jugée fondée par le TAT. Cela dit, je n’ai pas encore vu de plainte déposée à la CNESST qui n’a pas été acheminée au TAT par les enquêteurs. Je serais curieuse de voir le pourcentage de dossiers qui ne passeraient pas cette étape avec mention qu’il est justifié de faire suivre ce dossier au TAT. En d’autres termes, je n’ai pas encore été témoin d’enquête dont le résultat est à l’effet qu’il n’est pas justifié de faire suivre le dossier au TAT.
Dès que l’enquêteur mandaté par la CNESST a complété son enquête et qu’il détermine qu’il est justifié de faire suivre ce dossier au TAT, ses conclusions sont acheminées à la CSST qui s’empressera d’accepter la lésion professionnelle (maladie professionnelle) du Plaignant. Une confirmation écrite de cette décision de la CSST sera acheminée au Plaignant et le paiement de ses prestations de CSST débuteront. Cette première étape peut durer quelques mois. En somme, cette décision de la CSST est rendue même si le TAT ne s’est pas prononcé en lien avec l’existence ou non du harcèlement. Bien entendu cette décision peut être contestée et le tout est acheminé devant le TAT, normalement les dossiers sont jumelés.
Si l’enquêteur conclu qu’il est justifié d’acheminer le dossier au TAT suite à son enquête préliminaire, la CNESST assignera un procureur au plaignant, sans frais, pour assurer ses représentations devant le TAT. Par ailleurs, si l’enquêteur concluait qu’il n’est pas justifié d’acheminer le dossier au TAT, alors le plaignant pourrait choisir de s’y adresser, malgré tout, dans la mesure où il assume les frais de son procureur. Jusqu’ici, il n’en coute rien au plaignant et il sera représenté devant le TAT gratuitement dans la mesure ou un enquêteur juge qu’il est justifié de référer son dossier au TAT.
Je note ici, qu’avant le début de l’enquête la CNESST offrira au parties la possibilité d’une médiation. La médiation est volontaire, si une partie refuse la médiation, ce processus ne peut avoir lieu. Bien souvent, le plaignant, avant le début de l’enquête, est convaincu d’avoir gain de cause et refusera la médiation. Une fois l’enquête complétée, la médiation peut-être suggérée à nouveau. On s’entend, un Plaignant qui se serait fait dire par l’enquêteur qu’il était justifié de faire suivre son dossier au TAT sera peu enclin à accepter la médiation. Ce plaignant ne verrait pas l’intérêt de régler son dossier et ce, parce qu’il est doublement convaincu qu’il aura gain de cause devant le TAT, puisqu’il s’est fait dire par l’enquêteur que son dossier passait la première étape et qu’en conséquence, ses prestations de CSST lui seront versées.
L’intérêt de faire une enquête interne.
Je débuterais en disant que l’employeur n’a pas l’obligation de faire une enquête interne dans le contexte. L’employeur en vertu de la Loi sur les normes du travail a l’obligation de prévenir et faire cesser le harcèlement. Or, en l’occurrence, l’employé plaignant, dans le contexte décrit, n’est plus au travail mais en absence maladie. En conséquence, on ne pourrait reprocher à l’employeur de ne pas prendre tous les moyens pour faire cesser le harcèlement. Cela dit, quel est l’intérêt pour un employeur de faire sa propre enquête interne.
Tel que susdit, le processus mis en place par la CNESST est plutôt élémentaire et ne permet surtout pas de conclure à la présence de harcèlement suivant les critères énoncés dans la Loi sur les normes du travail. En conséquence, un employeur peut voir un intérêt à étoffer son dossier au cas ou il serait appelé à défendre sa cause devant le TAT, éventuellement. L’enquête interne effectuée par l’employeur lui permettra d’assurer la conservation de sa preuve. L’employeur ne peut se fier et ne devrait pas se fier sur l’enquête menée par la CNESST pour la conservation de sa preuve, car normalement il n’y a pas accès. L’enquêteur de la CNESST ne partagera pas avec l’employeur les déclarations recueillies auprès de ses propres employés sous prétexte que le tout est confidentiel. De plus, ce rapport d’enquête interne peut être utile pour tenter de convaincre le plaignant qu’il a intérêt à s’asseoir avec l’employeur pour régler son dossier en médiation. En somme, si le rapport d’enquête conclu clairement que nous ne sommes pas en présence de harcèlement au sens de la Loi sur les normes du travail, le Plaignant pourrait y voir un incitatif de régler son dossier en médiation plutôt que de risquer le tout devant le TAT qui doit suivre les mêmes critères que ceux utilisés et suivis par l’enquêteur interne. Sans compter que ce rapport pourra être utilisé devant le TAT. Le TAT n’est pas lié par les conclusions de l’enquêteur interne mais peut être grandement influencé.
Un rapport d’enquête effectué à l’interne par les représentants de l’employeur ou des consultants extérieurs peut avoir un impact certain une fois appelé à défendre le dossier devant le TAT. J’ajouterais également qu’il pourrait être justifié de prendre un consultant externe tout simplement pour donner cette apparence de neutralité qu’un représentant interne n’aurait pas nécessairement.
Les difficultés qu’un employeur risque de rencontrer advenant la décision de procéder à une enquête interne.
Bien souvent le plaignant qui est en absence maladie, qui s’est fait dire par la CNESST qu’il était justifié d’acheminer son dossier au TAT ne voudra pas rencontrer l’enquêteur mandaté par l’employeur pour collaborer à l’enquête interne. Le plaignant n’aurait pas d’incitatif pour collaborer avec l’employeur à ce stade et peut avoir l’impression que d’accepter une telle rencontre risque de lui nuire auprès de la CNESST. Le plaignant pourrait être en mesure d’obtenir un rapport de son médecin qui confirmera qu’il est incapable de rencontrer les représentants de l’employeur à ce stade et dans le contexte. Ce qui est toujours surprenant est le fait que le plaignant trouve habituellement la force pour rencontrer l’enquêteur de la CNESST afin de donner sa version des faits mais se dit incapable de rencontrer l’enquêteur mandaté par l’employeur. Dans la majorité des dossiers les allégations du plaignant au soutien de sa plainte de harcèlement seront partagées à l’employeur par l’enquêteur de la CNESST. Je note ici, que la majorité des enquêteurs de la CNESST refuseront de donner une version écrite de ces allégations mais accepteront de partager ceux-ci verbalement avec un représentant de l’employeur. En conséquence, les enquêteurs mandatés à l’interne par les employeurs peuvent se voir obligés de procéder à l’enquête sans avoir la possibilité d’obtenir du plaignant sa version des allégations.
Conclusion
Le processus mis en place par la CNESST dans le cadre de maladie professionnelle en raison de soi-disant harcèlement au travail donne beaucoup de pouvoir à l’employé plaignant. Dès que l’enquêteur mandaté par la CNESST dit qu’il est justifié d’acheminer le dossier au TAT, les prestations de CSST débuteront pour l’employé plaignant et ce, bien qu’il ne soit pas certain que le TAT dirait que nous sommes en présence de harcèlement au sens des critères énoncés dans la Loi sur les normes du travail. Le plaignant à cette étape a l’impression qu’il a un dossier solide et qu’il est clair qu’il aura gain de cause une fois devant le TAT. Le plaignant avant l’enquête et lorsqu’il sera payé en CSST croyant qu’il a toutes les chances de gagner devant le TAT refusera habituellement le processus de médiation qui lui sera offert. Le plaignant n’y verrait pas d’intérêt.
Dans ce contexte, une enquête menée à l’interne dont les conclusions seraient à l’effet qu’il n’y a pas de harcèlement au sens de la Loi sur les normes du travail pourrait permettre de convaincre le plaignant qu’il a tout intérêt à tenter la médiation ou encore tout simplement pour assurer une conservation de la preuve advenant une audition devant le TAT.
[i] La CNESST constitue ainsi un guichet unique pour les trois entités regroupées, dont la mission est de promouvoir les droits et obligations des employeurs et des employés en matière de travail.
Les rôles de chacun
CNT : la commission des normes du travail est chargée de l’application et du respect de la loi sur les conditions minimales de travail au Québec.
CES : la commission de l’équité salariale veille à ce que les emplois occupés traditionnellement par les femmes soient rémunérés de manière égale aux emplois de même valeur dans l’entreprise, mais occupés surtout par des hommes.